Bien des juges ont semblé perplexes lorsque Brett Sheffield s’est retrouvé finaliste représentant le Centre du Canada dans un important concours destiné aux jeunes entrepreneurs.
Comment un jeune agriculteur de Pilot Mound, au Manitoba, avait-il pu réussir à devancer les centaines de participants, dont des étudiants de maîtrise en administration des affaires (MBA) des meilleures écoles de gestion au pays?
Tout comme il l’a fait lors des finales régionales (Québec, Ontario et Manitoba), le jeune homme de 26 ans a tout simplement épaté les juges, qui étaient plus d’une quarantaine de gens d’affaires, y compris des PDG d’entreprises nationales, pour remporter le concours national d’entreprenariat étudiant en mai dernier.
« Je crois qu’ils ne considéraient pas vraiment les agriculteurs comme des entrepreneurs, raconte Brett Sheffield. Mais lorsqu’ils ont découvert la nature de mon entreprise, l’importance que j’accorde à la qualité du produit que je cultive et l’importance de l’agriculture au sein de l’économie canadienne, ils ont compris. »
Après le concours, certains lui ont mentionné les points qui lui avaient permis de se démarquer et l’ont félicité pour un aspect qui risque de vous surprendre : son consentement à admettre ses erreurs.
« Certains juges étaient très attentifs lorsque j’ai parlé de leçons apprises », raconte Brett, qui s’est lancé en agriculture en 2008. À cette époque, il cultivait 160 acres en canola; actuellement, il cultive 1 700 acres en céréales et oléagineux.
« À mesure que mon entreprise a pris de l’expansion, j’ai dû apprendre à porter plus souvent le chapeau de gestionnaire. Je leur ai donné l’exemple suivant : l’année dernière, j’ai embauché un employé pour l’épandage d’engrais soufrés et il a oublié un champ. Les rendements de ce champ de canola ont donc été nuls et cette erreur m’a coûté 20 000 $. Par contre, grâce à cette erreur, j’ai appris à améliorer la tenue des registres. Maintenant, tout passe par moi et j’inscris tout dans mon iPad. »
D’autres juges ont été impressionnés par sa décision de dernière minute, le printemps dernier, d’acheter un semoir à la volée pour ensemencer ses champs détrempés.
« À cause des fortes pluies, de nombreux producteurs ont accepté les paiements pour humidité excessive de 80 $ l’acre, explique Brett. Mais moi, j’ai décidé d’ensemencer quand même et j’ai obtenu un rendement de canola de 30 boisseaux l’acre. J’ai donc pu réaliser près de 400 $ l’acre au lieu de 80 $. »
Un gaffeur et un preneur de risques? Ce ne sont probablement pas des qualificatifs à admettre devant un jury de gens d’affaires, mais cet aveu illustre un désir d’amélioration et une volonté de prendre des risques minutieusement calculés.
Étonnamment, Brett Sheffield n’avait jamais envisagé de devenir agriculteur.
« Comme bien des enfants d’agriculteurs, je voulais quitter la ferme et faire autre chose », dit-il.
Il a fréquenté l’Université du Dakota du Nord, a joué au hockey et étudiait en éducation physique lorsqu’il a annoncé à ses amis que l’agriculture lui manquait et qu’il abandonnait ses études pour retourner sur la ferme. La nouvelle n’avait pas impressionné la plupart d’entre eux.
« À cette époque, les prix des produits de base étaient médiocres et beaucoup de gens croyaient que j’étais ridicule de retourner en agriculture. Mais je voulais essayer et il se trouve que j’y suis retourné au bon moment. »
Il est revenu en 2008, a loué 160 acres et a travaillé avec son père Lyn avant de s’inscrire un peu plus tard à un programme d’agriculture à l’Université du Manitoba. Ce programme offrait aux étudiants la possibilité de participer à des projets en planification de gestion et de travailler avec un mentor. Il va sans dire que Brett en a profité au maximum.
« Ce programme a eu beaucoup d’influence sur moi, dit-il. Le projet portait sur ce que je pouvais réaliser sur la ferme : l’établissement d’objectifs réalistes, l’évaluation de l’équipement que je possédais déjà et autres points pratiques. C’était super. J’y participais après chaque cours et ce projet a contribué à ma réussite. »
Pendant qu’il était encore aux études, le centre de conditionnement physique de Pilot Mound a été mis en vente. Comme il ne suscitait pas beaucoup d’intérêt, Brett y a jeté un coup d’œil, principalement parce qu’il était membre régulier et ne voulait pas voir la ville de 700 habitants perdre ces installations. Le Stay Fit Health Club, de 1 600 pieds carrés seulement, était bien équipé et, comme il fonctionnait selon un système de cartes de membre, le coût du personnel n’était pas élevé. En appliquant les mêmes techniques que celles qu’il utilise pour calculer le seuil de rentabilité de ses cultures, il a pu déterminer le nombre de cartes de membre nécessaires pour poursuivre les activités et a décidé d’en faire l’acquisition.
Une fois de plus, les gens se sont exprimés franchement.
« Tout le monde croyait que l’idée d’acheter le centre était ridicule, dit-il. J’ai tenté d’obtenir un prêt, mais ma demande a été refusée. J’ai donc utilisé mes fonds propres. Les calculs indiquaient qu’il y a avait du potentiel et j’ai finalement réalisé un très bon rendement du capital investi. »
Ce qui pouvait paraître un risque pour une personne de l’extérieur, que l’on parle de l’achat du centre de conditionnement physique ou de l’ensemencement de canola à la volée sur des superficies imbibées d’eau, était pour Brett le résultat de la mesure du rendement espéré par rapport au risque. Parce qu’il connaît ses chiffres et qu’il prend des décisions en conséquence sont les raisons pour lesquelles il possède un plan de trésorerie détaillé, prévend 25 % des rendements prévus et utilise des feuilles de calcul pour déterminer la culture qu’il ensemencera ou évaluer une occasion d’affaires.
Pour lui, la plus belle facette du concours a été de rencontrer d’autres jeunes qui, comme lui, sont enthousiasmés par ce genre de chose.
« Ce fut absolument extraordinaire de côtoyer des gens enthousiastes, des gens qui ont le goût d’en faire toujours plus, dit-il. C’était comme écouter un excellent conférencier motivateur qui vous fait prendre conscience de la chance que vous avez d’être en affaires et qui dresse un tableau de tout ce que vous pouvez accomplir. »
Brett souligne qu’il souhaite vraiment en faire plus, mais à sa façon, même si cela signifie sortir des sentiers battus. Or, pendant que de nombreux agriculteurs des Prairies se précipitent pour acheter des terres, dont les prix ont pratiquement doublé ou triplé dans certaines régions depuis 2007, Brett refuse de suivre la vague. Lui et son père, qui cultive également 1 700 acres, ont fusionné leurs exploitations et se concentrent sur l’efficacité.
« Je veux absolument me concentrer sur l’accroissement de la productivité des superficies que je possède déjà, dit-il. Bien des gens s’emballent et veulent à tout prix prendre de l’expansion, mais cette attitude ne permet pas de faire la meilleure gestion de ce que vous possédez. Je veux réaliser le meilleur revenu possible à l’acre. »
Comme il loue la plupart de ses terres, avoir de bonnes relations avec les propriétaires constitue pour lui une priorité.
« C’est très important, dit-il. J’échange constamment avec eux. Nous parlons des pratiques qu’ils souhaiteraient qu’on utilise dans leurs champs et même de la rotation des cultures. »
Avec du recul, Brett estime qu’il a eu la chance de démarrer en agriculture avant que les prix des céréales et des oléagineux ne grimpent étant donné que les faibles marges l’ont poussé à bien connaître son coût de production. L’acquisition de ce genre de compétences en affaires lui a donné la confiance nécessaire pour tracer sa propre voie, et ce, « malgré le scepticisme des autres », dit-il.
Prochaine étape?
« Si j’étais riche, j’examinerais la possibilité d’investir dans l’immobilier aux États-Unis parce que les prix sont faibles et qu’un jour ils rebondiront », conclut-il.
« J’aimerais trouver des occasions qui, sans aucun doute, prendront de la valeur, même si elles ne sont pas nécessairement tendances à l’heure actuelle. C’est pourquoi j’examine des investissements qui ne sont pas à la merci de la météo, comme le centre de conditionnement physique, et qui me permettent de diversifier mes sources de revenus. »
Outre le concours national d’entreprenariat étudiant, l’organisation philanthropique Advancing Canadian Entrepreneurship (acecanada.ca) offre un programme d’entrepreneuriat étudiant dans plus de 60 universités et collèges canadiens. Brett Sheffield participera au concours mondial d’entrepreneuriat étudiant qui se tiendra à New York en novembre prochain.