Pendant des années, la vie de Tom Cox a été remplie d’une effervescence que la culture du maïs et du soja ne peut offrir.

Tout a commencé en 2002, lorsque lui, quelques agriculteurs et des citoyens du comté de Brant, en Ontario, ont annoncé audacieusement qu’ils allaient réunir 86 millions de dollars (M$) pour construire une usine d’éthanol. Tom Cox a accepté la présidence du conseil d’administration de la coopérative Integrated Grain Processors Co-operative (IGPC), et l’aventure a pris son envol.

Il y a eu des moments magiques, comme celui où ils ont pris conscience que les efforts déployés en vue de persuader des gens d’investir 25 000 $ chacun avaient porté leurs fruits et que la plus importante jeune coopérative de l’histoire canadienne allait voir le jour. Il y a aussi eu la journée que M. Cox qualifie de «  surréelle » : il avait semé du maïs le matin, s’était ensuite empressé de se préparer et d’enfiler un complet pour se rendre en voiture à Toronto où il allait donner une présentation devant des spécialistes des services de banque d’investissement de Bay Street. Sans oublier bien entendu la journée où, environ six semaines plus tard, la banque internationale Société Générale a accepté de devenir le principal prêteur et d’organiser la grande partie du financement de ce qui était devenu un projet de très grande envergure, évalué à 140 M$.

Et la liste s’allonge, accompagnée de hauts et de bas. Il y a eu ces périodes où Tom Cox et ses collègues administrateurs bénévoles installaient 150 chaises dans une salle communautaire alors qu’une dizaine de personnes seulement assistaient à leur présentation sur les avantages d’investir dans le projet de coopérative. Et puis le jour où ils ont dû se rendre à l’évidence que le site choisi au départ ne fonctionnerait pas et celui où ils en ont trouvé un à Aylmer. Sans oublier le jour de l’inauguration de l’usine, celui où l’usine a atteint sa capacité de production de 150 millions de litres (pour ensuite la dépasser) et celui où la coopérative a émis la première série de chèques dividendes aux investisseurs, totalisant 5,3 M$.

Ce fut toute une aventure et ce n’est qu’après l’embauche d’un président-directeur général chevronné, soit avant l’inauguration de l’usine en septembre 2008, que Tom Cox a pu vouer de nouveau toute son attention à sa ferme céréalière familiale et à son silo à grains commercial situés à Troy, à quelques kilomètres à l’ouest d’Hamilton.

Bien qu’IGPC ait satisfait les espoirs et les attentes de ses fondateurs, M. Cox, qui occupe toujours la présidence du conseil d’administration de la coopérative, indique que le succès a été différent de ce à quoi il s’attendait.

« Lorsque vous démarrez un projet du genre, vous vous imaginez qu’à un moment donné vous allez grimper au sommet de la montagne et crier J’ai réussi », raconte l’homme de 45 ans.
« Nous avons traversé de nombreuses grandes étapes, certaines plus heureuses ou survenues plus rapidement que prévu. Mais vous passez immédiatement à l’étape suivante. Alors, cette escalade au sommet de la montagne n’a jamais eu lieu. C’est différent de ce que j’avais imaginé. »

Tom Cox n’est pas en train de se plaindre. Tous les changements survenus en l’espace de dix ans l’impressionnent.

Il y a dix ans, pratiquement tout le comté de Brant était plongé dans un marasme. La municipalité rurale, située à l’ouest de la ferme de M. Cox et entourant la ville de Brantford, vivait un malaise économique qui remontait à la fermeture de l’usine Massey Ferguson vers la fin des années 1980. L’agriculture aussi était dans une situation de morosité : les prix du maïs avoisinaient les 2,50 $ le boisseau, soit pratiquement la moitié des prix obtenus dix ans plus tôt. Grâce à une initiative de la Fédération de l’agriculture du comté de Brant, près de 40 personnes, principalement des agriculteurs ou des gens d’affaires du secteur agricole, se sont réunies pour réfléchir au genre d’entreprises à valeur ajoutée dont la région avait désespérément besoin, comme des entreprises de transformation quelconque susceptibles de procurer des revenus aux agriculteurs et de créer quelques emplois.

Ils savaient que de nombreux groupes ailleurs au pays avaient tenté de faire la même chose et avaient échoué. Ils ont toutefois réussi contre toute attente et la mise sur pied d’IGPC est devenue, à tous égards, une histoire de réussite remarquable. En 2011, les 50 employés de l’usine ont effectué le broyage de 400 000 tonnes de maïs provenant principalement de la région pour fabriquer 163 millions de litres d’éthanol et 120 000 tonnes de drêches de distillerie qui ont généré des revenus évalués à 125 M$. Trois ans seulement après l’ouverture de l’usine, la coopérative avait remboursé près des trois quarts des 64 M$ de financement à terme obtenu pour la construction de l’usine. De plus, au cours des deux dernières années, des chèques totalisant 10,6 M$ ont été émis aux 900 membres qui avaient investi 53 M$ lors d’une collecte de fonds. Actuellement, la coopérative examine la faisabilité d’un projet de cogénération qui pourrait transformer la chaleur issue du traitement des résidus en électricité pour alimenter les turbines. On examine également la possibilité d’agrandir l’usine.

Quel est donc le secret de son succès?

Tom Cox n’a pas de plan détaillé, mais il existe une raison pour laquelle il mentionne l’aventure en montagnes russes des premières années. Il peut maintenant en parler avec nostalgie, mais insiste sur la nécessité de comprendre que l’enthousiasme s’accompagne de stress et de revers et insiste aussi sur l’importance de ne pas abandonner malgré les difficultés.

« L’une des choses que j’ai dites à bien des personnes, c’est qu’il faut être naïf, raconte M. Cox. Dès le départ, si quelqu’un avait dressé la liste des tenants et aboutissants d’un projet de cette envergure, tels que le nombre d’heures à investir, les raisons d’échec possibles et les conséquences d’un échec, et si je l’avais cru, je me serais probablement sauvé au plus vite. »

C’est pourquoi il ajoute qu’il est très important d’avoir non seulement une vision partagée au sein du groupe, mais aussi la détermination de rester solidaire des autres et de s’appuyer.
« L’une des raisons de notre succès repose sur le fait que nous avons travaillé en équipe, dit-il. Les administrateurs ont été totalement solidaires et n’ont jamais montré quiconque du doigt même lorsque les affaires n’allaient pas tellement bien. Vous pouvez gaspiller énormément de temps à composer avec ce genre de problème, mais nous n’avons jamais eu à le faire. »

Et les périodes difficiles ont été nombreuses. L’abandon du site de Brantford a été crève-cœur, bien que la situation de la ville se soit améliorée depuis, et le nouvel emplacement situé à une heure à l’ouest d’Aylmer s’est révélé convenir parfaitement.

Les événements externes ne sont pas les seuls éléments qui ont mis la détermination du groupe à l’épreuve. Au départ, chaque membre du groupe composé de 40 personnes avait investi 5 000 $ pour la réalisation d’une première étude de faisabilité d’une usine d’éthanol. Le rapport du consultant était favorable et mentionnait que la prochaine étape consistait à choisir entre former une compagnie ou une coopérative. La coopérative présentait des avantages distincts, dont la possibilité de lever des fonds propres, mais l’idée même d’une coopérative ne plaisait pas à tous, y compris M. Cox.

« Bien des gens ont une mauvaise opinion des coopératives; ils croient qu’elles ne peuvent pas être à vocation commerciale ni être bien dirigées, fait observer M. Cox. J’avais probablement une opinion semblable, mais elle a changé. Les entreprises bien dirigées et bien gérées ont tendance à réussir, tandis que celles qui sont mal dirigées et mal gérées ont tendance à échouer, qu’il s’agisse d’une coopérative, d’une compagnie ou d’une exploitation familiale. »

Mais avant de pouvoir diriger une entreprise, vous devez réunir les fonds nécessaires pour la mettre sur pied. La première levée de fonds propres avait permis d’amasser 5 M$ seulement en l’espace de six mois. Deux autres levées de fonds ont été organisées et l’épuisant processus s’est étalé sur trois ans et demi. Les administrateurs bénévoles, en plus d’organiser quelque 50 rencontres communautaires, ont fait des présentations au cours des réunions d’organismes agricoles et communautaires. Ils ont passé encore plus de temps pour joindre personnellement des investisseurs potentiels, mais seulement un sur dix acceptait d’investir.

« Vous apprenez à prendre les choses avec philosophie, dit-il. Je me souviens des premières réunions où nous installions 150 chaises alors qu’une quinzaine de personnes seulement se présentaient. Nous avons donc appris à installer une vingtaine de chaises et si plus de personnes se présentaient, nous en sortions d’autres. »

Une autre question épineuse consistait à déterminer si les producteurs de maïs membres de la coopérative allaient recevoir ou non un prix supérieur à celui du marché. Comme dans le cas du choix entre une coopérative ou une compagnie, il y avait des idées bien arrêtées des deux côtés et il fallait respecter ceux qui n’avaient pas la même vision des choses que vous. (Finalement, comme il n’y avait pas suffisamment de producteurs de maïs membres en mesure d’investir les dizaines de millions nécessaires, la question s’est réglée d’elle-même.)

À mesure que le projet avançait, le groupe devenait de plus en plus discipliné. Dès le début, le projet de cogénération et la possibilité d’obtenir des produits supplémentaires, comme un fondant routier fabriqué à partir d’éthanol, avaient soulevé beaucoup d’enthousiasme. L’idée n’était pas mauvaise, mais le groupe se devait de rester concentré, explique M. Cox.

« Au début, on a tendance à courir quatre ou cinq lièvres à la fois et à essayer de planifier cinq étapes plus loin », dit-il.

« En cours de route, nous nous sommes rendu compte que c’était une chose à éviter. On entend souvent parler de projets qui ont plusieurs facettes ou qui misent sur quatre ou cinq plateformes différentes. Mais la plupart de ces projets ambitieux ne se réalisent jamais. Ils deviennent tout simplement trop complexes à gérer. »

Le groupe a aussi réussi à évoluer et à prendre de la maturité. Lorsque vous vous investissez corps et âme dans un projet pendant de nombreuses années, c’est difficile de lâcher les rênes. Il précise qu’il est allé rencontrer les banquiers de Bay Street simplement parce qu’il n’y avait personne d’autre pour le faire. Aujourd’hui, il se trouve rarement dans la pièce lorsque le PDG et le personnel financier de la coopérative rencontrent les prêteurs.

« Certaines coopératives sont tristement célèbres pour avoir bâti quelque chose et ne pas avoir permis à l’équipe de gestion de faire son travail, fait-il observer. Dès le début, nos consultants et nos avocats-conseils nous ont bien informés sur le rôle d’un administrateur et sur la nécessité de suivre le canal hiérarchique. Je n’oserais jamais – et je n’ai jamais osé – me présenter sans préavis dans l’usine ou dire à un employé comment faire son travail. »

« Vous voulez attirer et fidéliser des employés compétents. Un gestionnaire professionnel chevronné ne supportera pas que neuf personnes surveillent ses moindres faits et gestes. »

Bien entendu, le fait d’avoir pu passer le flambeau a aussi été un soulagement. À trois ou quatre occasions, le projet s’est heurté à de sérieuses difficultés, mais les « choses se sont arrangées pour le mieux », dit-il.

« Lorsque vous traversez ces périodes difficiles, vous en tirez une bonne leçon d’humilité. »

En tant que visage public d’IGPC, Tom Cox estime avoir reçu une partie démesurée des mérites. Il a dîné avec deux premiers ministres, a été invité à présenter des exposés au Canada et aux États-Unis et a vécu des expériences inimaginables, tel que le voyage à Bay Street.

Il ajoute que le plus intéressant a été de travailler en coulisse et d’apprendre de ses collègues administrateurs et des professionnels qu’ils ont embauchés.

Voici son dernier conseil : Amusez-vous!

« L’aventure a été très stressante et accompagnée de nombreux hauts et bas, mais nous étions tous très passionnés et enthousiastes, conclut M. Cox. Ce fut amusant. »

Pour en savoir plus sur IGPC, visitez le igpc.ca (en anglais seulement).