Le comté de Norfolk n’est pas l’endroit où l’on pourrait forcément s’attendre à trouver un terrain fertile pour l’entrepreneuriat innovant. Non seulement il n’y avait qu’une culture dominante dans cette région, mais les producteurs ne participaient pas à la vente de leurs récoltes, sauf ceux qui siégeaient à l’agence de commercialisation. Tant que le système fonctionnait, on estimait qu’il était excellent : un prix plancher garantissait pratiquement des bénéfices pour chaque livre de tabac cultivée et des enchères au rabais généraient des primes pour les récoltes supérieures à la moyenne. Par contre, il n’y avait aucune interaction entre les acheteurs et les vendeurs. Lorsque les producteurs apportaient leurs balles de tabac sec de 23 kilogrammes (50 livres) à l’entrepôt pour la vente aux enchères, ils n’étaient même pas admis dans la zone où les acheteurs de tabac se trouvaient.
« Je récoltais 68 000 kilogrammes (150 000 livres) par année, mais je ne savais rien de la commercialisation, raconte Robert Koprich. Essentiellement, on livrait nos balles de tabac à l’entrepôt et, quelques jours plus tard, on recevait un chèque. C’est tout ce que je savais à propos de la commercialisation. »
Robert Koprich fait une pause, jette un regard autour de la pièce et ouvre grands les bras.
« C’est un énorme changement », dit-il avec un sourire ironique.
Et c’est le moins que l’on puisse dire. La pièce, siège des ventes au détail de Purple Daze Lavender Farm (purpledazelavender.com), est située dans un coin de la remise à machinerie séparée par un mur et à l’abri des poussières agricoles. Un filet de dentelle de couleur lavande est suspendu au plafond, des petites fleurs de lavande délicatement dessinées enjolivent les murs, des bibelots et des petits pots – dont bon nombre portent de petites boucles de lavande – remplissent la pièce. Appréciant le décor aux couleurs et aux odeurs de la lavande, Robert Koprich a le regard d’un homme qui peine à croire le chemin que la vie lui a réservé.
Non pas parce qu’il vend maintenant des sachets de potpourri et des sachets « beaux rêves », mais parce qu’il évolue dans le domaine de la vente au détail.
Auparavant, M. Koprich ne cultivait qu’une seule plante; aujourd’hui, il offre un éventail de produits (30 et plus). Auparavant, il n’avait qu’un moyen de vendre à quelques acheteurs importants; aujourd’hui, il compte sur un vaste réseau de ventes ainsi que sur des milliers de clients, dont bon nombre ont envie de poser des questions sur ses produits certes, mais aussi sur son entreprise et sur lui-même. Après avoir cultivé du tabac en solitaire pendant 30 ans, il est émerveillé par le flot constant de personnes qui empruntent l’autoroute 3, tournent sur la route 16 Sud (au poteau de téléphone décoré d’un filet de couleur lavande) et entrent dans sa cour.
« Je ne peux pas vous dire exactement combien de personnes sont venues ici depuis le début, dit-il. Nous avons accueilli des gens de partout dans le monde, d’aussi loin que le Japon et l’Australie. Mais je peux vous dire une chose : je ne m’y attendais pas du tout. C’est extraordinaire.
Ancien membre de la police montée, Robert Koprich retourne sur la ferme familiale située près de Delhi dans le milieu des années 1970 et, en 2005, il décide d’abandonner la culture du tabac. Lorsqu’il a commencé à cultiver la lavande, il l’a fait avec l’état d’esprit d’un producteur. Il s’est concentré sur la recherche d’une variété rustique (une grande partie de ses 7,5 acres, bientôt dix, sont d’ailleurs plantées de lavande Munstead) et il a mis au point son propre système d’extraction de l’huile essentielle de lavande qu’il envisageait de vendre à des fabricants de produits de lavande.
« Je voulais vendre en gros parce que, en tant que producteur de tabac, je ne connaissais rien de la vente au détail », dit-il.
Robert Koprich a toujours aimé les fleurs et il se souvient d’avoir vendu des petits paniers en rotin remplis de fleurs, au marché de Norfolk, lorsqu’il était jeune. Lui et sa conjointe Carolyn ont commencé à fabriquer quelques produits simples et à les vendre directement aux consommateurs. Et puis, les produits se sont envolés rapidement. Demandez à ses voisins, surtout au cours de la fin de semaine qui suit la fête du Canada, lorsque les Koprich tiennent leurs portes ouvertes. Tout a commencé avec une visite de la ferme à laquelle 150 personnes ont participé. Le couple fut agréablement surpris, d’autant plus que l’événement avait été peu publicisé. L’année suivante, lorsque 200 personnes se sont présentées aux portes ouvertes, ils se sont dit qu’ils tenaient quelque chose.
« La troisième année, nous avons monté des tentes et nous avons réuni une vingtaine de marchands qui vendaient uniquement des produits locaux. Cette année-là, 500 à 600 personnes sont venues, raconte M. Koprich. L’année suivante, une station de télévision a fait un petit reportage sur notre entreprise, j’ai participé à une émission de la Société Radio-Canada (CBC) et 1 500 personnes se sont présentées. C’était incroyable. »
La récession a fait chuter ces chiffres quelque peu, mais le festival attire régulièrement 1 000 personnes, qui s’amènent pour admirer les champs de lavande en pleine floraison, acheter leurs produits ainsi que des aliments et des produits d’artisanat locaux, entendre un joueur de harpe celtique ou assister à une démonstration de danse orientale (baladi).
C’est le moment le plus occupé de l’année, mais à peine, fait observer M. Koprich.
« J’avais cru que cette activité m’aurait permis de ralentir un peu, mais je suis plus occupé que jamais, dit-il. C’est douze mois par année et je dois sans cesse faire des efforts pour tenir le rythme. ».
Le plus étonnant est que Robert Koprich n’est pas tenu de faire tous ces efforts. Compte tenu du fait que le marché de l’huile essentielle de lavande est robuste, il pourrait facilement vendre sa production en gros. Mais il en conserve la moitié pour la fabrication de ses propres produits.
« C’est énormément de travail, mais nous sommes à même de constater les résultats, conclut-il. Je me vois gagner ma vie de cette activité. »