Lorsque la famille Keddy a amorcé le processus de planification de la relève, leur conseiller leur a servi une petite mise en garde.
« Nous avons rencontré notre comptable qui nous a fait part d’une étude selon laquelle le transfert de la ferme d’une première génération d’exploitants agricoles ne réussissait qu’une fois sur douze », raconte Philip Keddy qui, avec ses parents Doris et Charles, exploite Charles Keddy Farms Ltd. située près de Kentville, en Nouvelle-Écosse.
Le jeune homme âgé de 28 ans s’empresse toutefois d’ajouter que « cela ne signifie pas que les parents doivent faire preuve d’extrême prudence lorsqu’ils aident les jeunes de la génération suivante à prendre la relève de la ferme ». C’est plutôt un argument en faveur du contraire dit-il : les jeunes agriculteurs doivent avoir la liberté d’échouer.
« Je sais que c’est difficile pour mon père, mais il comprend que ça fait partie de l’apprentissage, explique Philip. Par exemple, je pourrais décider d’ensemencer du blé dans un champ où il y des baissières alors que mon père sait par expérience que ce n’est pas un bon choix. Mais il me laissera décider et apprendre de mes erreurs. »
En réalité, c’est exactement ce que ses parents ont fait et tout a plutôt bien fonctionné. Actuellement, leur pépinière figure parmi les plus importants propagateurs de fraisiers au pays. Charles Keddy, âgé de 59 ans, n’a pas grandi sur une ferme, mais il aimait travailler à l’extérieur et faire pousser des plantes. Après avoir obtenu son diplôme d’études collégiales en agriculture, lui et Doris ont fait l’acquisition d’une ferme de 30 acres en 1977 et Charles est allé travailler pour un voisin, le producteur de fraises Gilbert Allen. À l’époque, M. Allen ne vendait ses plants qu’au Canada, mais il recevait de nombreux appels de producteurs de fraises de la Floride qui voulaient acheter ses fraisiers hâtifs, exempts de maladie.
Incapable de satisfaire la demande, M. Allen a vivement encouragé Charles Keddy à se lancer dans la propagation des fraisiers. Aujourd’hui, l’entreprise de 450 acres expédie annuellement 20 millions de fraisiers (dont 60 % aux États-Unis) et emploie 75 travailleurs saisonniers.
Malgré toute cette réussite, il y a eu des faux-pas.
« Au début, mes parents ont fait appel à un courtier qui ne versait pas tout l’argent des ventes, raconte Philip. Nous avons failli perdre l’entreprise à cause de ça. Ensuite, mes parents ont décidé de se rendre en Floride en avion pour rencontrer tous leurs clients et faire affaire directement avec eux. C’est ce que nous faisons encore. Nous ne faisons pas qu’échanger une poignée de main avec nos clients. Nous découvrons ce qu’ils pensent de notre produit et nous écoutons ce qu’ils ont à proposer pour améliorer notre produit. »
Au cours des dernières années, ces voyages ont sensibilisé les Keddy aux risques que comporte le commerce à l’extérieur du pays. En 2009, ils ont donc décidé de diversifier leurs activités en se lançant dans la production de la patate douce (une culture qui demande des températures chaudes et qui, selon la plupart des experts, ne convenait à la vallée de l’Annapolis).
« Mes parents ont commis des erreurs et ont appris de ces erreurs. Ils comprennent que c’est également important de me permettre de faire des essais et d’apprendre », explique Philip.
Philip a fourni sa part d’efforts pour mériter cette confiance. Il est titulaire de deux diplômes d’études collégiales, dont l’un en commerce et l’autre en sciences végétales, et a suivi le programme canadien d’excellence totale en gestion agricole. Une partie de sa formation continue consiste à s’exposer à de nouvelles idées en faisant partie d’organismes comme le Forum des jeunes agriculteurs de la Nouvelle-Écosse et Gestion agricole du Canada (il est vice-président des deux organismes).
Progressivement, on lui a confié plus de responsabilités de gestion de l’exploitation.
« Avant, je passais 75 % de mon temps au volant de mon tracteur, raconte Philip. Maintenant, ça tourne autour de 25 %. Le reste du temps est consacré à la gestion. »
La famille Keddy a entamé le processus de planification de la relève il y a deux ans. L’objectif consiste à faire en sorte que Philip et sa conjointe Katie (les deux sœurs de Philip poursuivent des carrières non agricoles) soient en position de prendre la relève dans dix ans.
« C’est un processus et non pas quelque chose que vous faites du jour au lendemain, dit-il. Pendant cette période, je vais assumer plus de responsabilités de gestion, mais je vais continuer de pratiquer l’agriculture avec mes parents. »
Le processus est complexe et bien des sujets sont difficiles à aborder, confie Philip, ajoutant qu’il comprend maintenant pourquoi leur comptable leur a servi une petite mise en garde.
« J’ai des amis qui sont plus âgés que moi et dans leur cas, c’est encore leur père qui prend toutes les décisions, dit-il. D’autres ne voient pas les livres avant l’âge de 35 ou 40 ans, de sorte qu’ils ne savent même pas si l’entreprise est viable. »
Si c’est le genre de dynamique qui prévaut sur votre exploitation, Philip n’a qu’un conseil : parlez.
« C’est difficile, vraiment difficile. Mais c’est une question de communication. Si vous êtes incapable de parler de relève, comment allez-vous faire pour réussir? »