Dustin Williams a appris dès son jeune âge que se préoccuper de l’environnement, c’est aussi bon pour le portefeuille.
Dustin Williams n’était qu’un jeune garçon lorsque son père Wayne a décidé de remiser définitivement son cultivateur pour se lancer dans la culture des céréales sans travail du sol, une pratique qu’un bon nombre qualifiait de téméraire. Mais il n’oubliera jamais la réaction que cette décision avait causée.
« Bien sûr qu’on nous observait », raconte en riant le jeune agriculteur manitobain âgé de 35 ans. « Chaque fois que nous sortions une nouvelle machine agricole, les voisins stationnaient dans la rue pour voir ce que nous allions faire cette fois-ci. »
Vingt ans plus tard, Dustin a lui-même attiré beaucoup d’attention lorsqu’il a modifié son semoir pneumatique en ajoutant une étrange collection de tuyaux en argent pour retourner les émissions provenant du tuyau d’échappement de son tracteur dans le sol.
Les deux décisions sont liées par l’idée que la gérance de l’environnement n’est pas uniquement une question de bonne conscience, mais qu’elle est indispensable à la création d’une entreprise agricole financièrement viable.
« J’ai appris qu’il fallait prendre soin de ses terres », explique Dustin qui, avec sa conjointe Laura McDougald-Williams, exploite Ash Haven Farms, une ferme céréalière de 4 700 acres située à Souris.
« Sur notre ferme, le principe directeur consiste autant à réduire les coûts qu’à augmenter la productivité. Si vous réussissez à trouver une nouvelle ou une meilleure façon de faire et de réduire vos coûts, c’est de l’argent qui va directement dans vos poches. »
L’année dernière, le couple a remporté le concours provincial des Jeunes agriculteurs d’élite, mais leur carrière en agriculture s’est pratiquement terminée avant même qu’elle ne commence.
« Au début, la stratégie en était une de survie uniquement », explique Laura, qui a grandi sur une petite ferme d’élevage de bovins près de Brandon et qui a rencontré Dustin dans le cadre d’un programme de travail communautaire dans une école secondaire.
« J’essayais simplement d’arriver à payer les factures. Je suppose que nous étions optimistes et que nous avions l’espoir de nous en sortir un jour. »
Le couple s’est lancé en agriculture en 2001. Dustin venait d’obtenir son diplôme en agriculture et Laura s’apprêtait à déménager à Montréal pour faire ses études en droit. Wayne Williams avait bâti ce qui, à l’époque, était une exploitation d’envergure, en louant plusieurs petites fermes pour augmenter ses superficies à 5 500 acres. Toutefois, il encourageait son fils à démarrer sa propre entreprise plutôt que de travailler pour lui. Dustin et sa conjointe ont donc loué quelques centaines d’acres. Dustin effectuait du travail à forfait pour des voisins et troquait le temps qu’il passait sur la ferme de son père contre l’utilisation de matériel agricole. Et pour accélérer les choses, le couple a démarré une entreprise d’élevage-naissage.
« Nous avons pensé que l’élevage de bovins serait une bonne façon de diversifier nos activités et de ne pas avoir tous nos œufs dans le même panier », explique Laura.
« Nous venions de démarrer notre entreprise depuis à peine quatre mois lorsque la crise de la vache folle a frappé, raconte Dustin. Les premiers veaux n’étaient même pas encore nés lorsque cette crise a tout chambardé mon plan d’affaires. Malgré tout, j’en ai tiré l’une de mes meilleures leçons d’affaires : vous ne pouvez planifier au-delà de la prochaine intersection. »
Cette mésaventure les avait convaincus de la nécessité de trouver quelque chose pour faire pencher les chances de leur côté, et l’expérience du père de Dustin avec le semis direct offrait une solution.
Dans leur région, le sol est limoneux-sableux et très érodable. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le père de Dustin avait toujours limité le travail du sol. Mais après avoir adopté le semis direct, Wayne et Dustin ont remarqué d’autres avantages. En peu de temps, le sol s’est mis à fourmiller de vers de terre et la surface est devenue l’habitat d’une foule d’insectes qui se nourrissaient de résidus de paille. Ces insectes constituaient une source de nourriture pour d’autres insectes comme les chrysopes, et la présence d’insectes carnivores dans leurs champs s’est révélée un avantage immense. Lorsque les insectes indésirables qui s’attaquent aux cultures ou propagent des maladies faisaient leur apparition, ils étaient immédiatement assaillis par les insectes « désirables », ce qui diminuait, voire même, éliminait le besoin de pulvériser des insecticides.
« Je ne voulais pas être obligé de pulvériser chaque fois et je me suis rendu compte que, dans bien des cas, c’était vraiment une solution de fortune, explique Dustin. En améliorant la santé du sol, nous améliorons du coup la santé des cultures et évitons beaucoup de problèmes. »
Cette façon de penser transparaît dans un bon nombre de ses pratiques agricoles. L’Université du Manitoba, où il a étudié, possède la plus ancienne ferme expérimentale sur les cultures biologiques au pays, et Dustin s’intéresse vivement aux recherches qui y sont effectuées, notamment sur l’utilisation des engrais verts, les cultures de couverture pour maîtriser les mauvaises herbes et la culture intercalaire de légumes et de céréales.
« J’avais pensé me lancer dans la culture biologique, mais ce n’était pas pour notre ferme, dit-il. Par contre, j’ai essayé de m’inspirer des pratiques biologiques ou à faible consommation d’intrants et de les rentabiliser sur une échelle commerciale. »
Bon nombre de ses idées proviennent maintenant de collègues producteurs. Dustin participe au plus grand nombre de conférences possible et recherche constamment des producteurs innovateurs à qui poser des questions sur leurs bons coups. Il est président sortant de l’association des producteurs du Manitoba et du Dakota du Nord adeptes du semis direct (Manitoba-North Dakota Zero Tillage Farmers’ Association – mandakzerotill.org), l’organisme pionnier auquel son père s’est joint à l’époque où l’idée du semis direct était largement considérée comme une philosophie irréaliste et marginale. Il continue d’ailleurs à entretenir des liens avec les membres de cette association.
Ces liens l’ont amené à adopter de nouvelles pratiques. Par exemple, il a observé que l’application de petites quantités d’oligoéléments directement sur le rang de semences favorise la levée en stimulant la croissance des racines et l’absorption de macroéléments. Il mentionne que cette pratique lui a permis de réduire les taux d’azote de 20 à 30 % au cours des cinq dernières années.
L’expérience de son père lui a servi une autre leçon : la valeur de la patience. À l’époque, les pionniers du semis direct ont dû surmonter des frustrations de toute sorte, faire leur apprentissage par essais et erreurs et modifier leur matériel en vue d’accroître leurs résultats. De nos jours, les producteurs disposent de toute une panoplie de machines agricoles de haute technologie pour placer avec précision les semences à travers le chaume, gérer les résidus de récolte et lutter contre les mauvaises herbes.
Dustin fait actuellement figure de pionnier en voulant injecter les émissions de son tracteur dans le sol. Seules quelques centaines de producteurs utilisent cette technologie. Ils soutiennent qu’elle favorise la croissance des semis en stimulant les microbes dans le sol qui transforment les éléments nutritifs en formes facilement absorbables par la plante. Il y a six ans, Dustin a investi 30 000 $ pour modifier son tracteur et indique qu’il a réussi à réduire sa facture d’engrais sans pour autant sacrifier la productivité.
« Cette technologie repose sur un fondement scientifique solide, dit-il. Lorsque j’ai examiné la possibilité de réduire l’utilisation d’azote de 30 %, je me suis dit que ce serait l’un des meilleurs investissements. J’ai poursuivi mes expériences et je crois avoir trouvé un système qui me donne des résultats constants, bien que j’aie encore des heures à passer dans l’atelier cet hiver. »
L’accent sur la planification à long terme et la durabilité dépasse les questions d’ordre agronomique. Dustin et Laura louent la moitié de leurs superficies auprès de personnes hors famille, en partie parce que des terres sont rarement à vendre dans leur région et en partie parce qu’ils ne veulent pas s’endetter de plusieurs millions de dollars simplement pour posséder chaque acre cultivé.
Laura, spécialiste en immobilier agricole, ajoute que louer des terres c’est beaucoup plus que faire un chèque.
« Bien évidemment, la principale préoccupation des gens qui louent leurs terres à d’autres demeure l’aspect économique et la génération de revenus, mais d’autres facteurs entrent aussi en ligne de compte, dit-elle. Ils veulent s’assurer que leurs terres sont entretenues, mais j’ai également observé qu’ils veulent créer des liens avec leurs locataires. »