Le producteur d’œufs Gerald Renkema n’avait pas l’intention d’apporter des changements importants, mais l’analyse financière continue de son exploitation l’a amené sur des voies inattendues.
La montée en flèche des prix des aliments pour animaux a frappé tous les éleveurs l’année dernière, mais Gerald Renkema a été partiellement épargné grâce à deux vieux alimentateurs à chaînes qui tombaient régulièrement en panne.
Il n’existe bien entendu aucun lien direct entre le matériel problématique que M. Renkema a remplacé il y a plusieurs années et le moyen qu’il a trouvé pour surmonter la hausse de 20 % des prix des aliments pour animaux l’été dernier.
Par contre, le lien entre ces deux éléments démontre à quel point l’analyse financière peut stimuler l’innovation et accroître la rentabilité. Il s’agit d’ailleurs d’une stratégie que M. Renkema met en pratique depuis ses tout premiers débuts en agriculture.
« Tout remonte à la façon dont j’ai structuré mon exploitation agricole », explique le producteur d’œufs âgé de 41 ans, installé à Baden, en Ontario.
« Je voulais à la fois travailler dans mon entreprise et sur mon entreprise, c’est-à-dire effectuer les tâches quotidiennes, mais aussi pouvoir prendre du recul et réfléchir à des façons de faire progresser l’entreprise. »
Gerald Renkema a grandi sur une exploitation ovocole qui se trouve à proximité de son exploitation actuelle située à l’ouest de Kitchener. Son frère a pris la relève de l’exploitation ovocole, son père s’est concentré sur la production végétale et Gerald est devenu comptable en management accrédité. Il réussissait bien dans ce domaine et gravissait les échelons d’une importante compagnie d’assurances lorsqu’il est finalement venu à la conclusion que l’agriculture était sa véritable passion. Ainsi, en 2005, lui et sa conjointe Kathy ont fait l’acquisition d’une exploitation ovocole existante comprenant un quota de 20 000 poules pondeuses (d’une valeur de trois millions de dollars) et trois poulaillers, dont deux étaient équipés d’alimentateurs « capricieux ».
« Chaque exploitation agricole a ses sources de frustration et, dans mon cas, c’était les alimentateurs à chaînes, dit-il. Vous déplacez une grande quantité d’aliments pour animaux en peu de temps, ce qui veut dire que l’équipement supporte beaucoup de poids et que périodiquement, en fait plus souvent que périodiquement, il tombe en panne. »
Pendant la semaine, ses employés réguliers étaient capables d’effectuer les réparations. Mais comme il embauchait des étudiants pendant la fin de semaine, une panne signifiait qu’il recevait un appel à la maison.
« Le samedi ou le dimanche matin, je recevais immanquablement un appel et je passais deux heures à réparer l’équipement, raconte-t-il. L’équipement ne présentait rien de fondamentalement anormal, mais le type d’équipement et le type de main-d’œuvre n’allaient pas de pair. »
Il existait bien une solution de rechange, soit un système de distribution des aliments à vis sans fin, qui était non seulement plus fiable, mais permettait un meilleur contrôle de la distribution des aliments. Deux caractéristiques qui permettaient de réduire les coûts des aliments pour animaux et de produire des volailles de taille plus uniforme. (En plus de produire trois millions d’œufs par année, M. Renkema élève 36 000 poulettes de remplacement.)
Le problème, c’était le coût, soit 20 000 $ par système. M. Renkema a donc utilisé un tableur électronique pour effectuer des calculs, analyser divers scénarios et comparer les coûts, les avantages (main-d’œuvre réduite, rations plus efficaces et productivité accrue) et la période de récupération. Lorsqu’il a ajouté un système automatique de pesée des aliments, les résultats ont été concluants.
« J’ai fait différentes combinaisons jusqu’à ce que je trouve la bonne, dit-il. Et cela signifiait que je n’aurais plus à veiller sur le système d’alimentation. »
Une stratégie plus large était aussi en jeu. M. Renkema explique que sa stratégie d’affaires consiste à « se concentrer sur ce qui se passe à l’intérieur de sa ferme d’abord et à l’extérieur ensuite. »
« Il faut parfois faire un petit acte de foi, dit-il. Une fois que vous avez restructuré votre entreprise afin de la rendre plus efficace, vous pouvez ensuite saisir d’autres occasions. Un investissement peut parfois sembler marginal et vous vous dites : Si je vais de l’avant, les retombées ne seront pas énormes. Mais il peut comporter des avantages complémentaires, comme vous laisser plus de temps pour évaluer d’autres occasions. »
Et c’est exactement ce que Gerald Renkema a fait. Le remplacement des vieux alimentateurs à chaînes a attiré son attention sur la facture des aliments pour animaux (la troisième dépense en importance de sa ferme) et l’a amené à se demander s’il avait raison de penser que c’était une dépense sur laquelle il n’avait aucune maîtrise.
« Dans les états financiers, les aliments pour animaux figurent sur une ligne, dit-il. Je fixais cette ligne en me demandant : Qu’est-ce que je pourrais bien faire? »
Fabriquer ses propres aliments pour animaux n’était pas une option pratique. Les aliments pour volailles sont formulés avec précision, et M. Renkema ne voulait pas perdre la garantie de qualité que son fournisseur lui offrait. Il s’est toutefois rendu compte que la culture du maïs et du soja lui permettrait de couvrir ses frais d’aliments pour animaux.
Après avoir analysé les coûts et les avantages, il a finalement décidé de reprendre les 70 acres de terres qu’il louait, d’acheter quelques superficies supplémentaires et d’en louer davantage. Depuis deux ans, il cultive 250 acres.
Vous pourriez argumenter que le remplacement des alimentateurs à chaînes et la décision de cultiver du maïs et du soja sont deux choses différentes, mais M. Renkema y voit un lien.
« Votre activité de base doit être solide, dit-il. En ce qui me concerne, si j’avais essayé de démarrer une nouvelle activité comme la culture tout en étant forcé de retourner dans le poulailler pour effectuer des réparations qui durent deux heures, je crois que j’aurais abandonné la culture assez rapidement ou que j’aurais négligé l’élevage parce que j’étais trop occupé dans les champs. »
Il préfère dire qu’il possède deux entreprises complémentaires. L’année dernière, les revenus tirés de la culture du maïs et du soja ont représenté près du quart de ses revenus totaux et ont pratiquement égalé les frais des aliments pour animaux.
« C’est également important pour le flux de trésorerie, dit-il. Les revenus tirés de la culture m’aident à neutraliser toute hausse marquée des coûts des aliments pour volailles. »
Ce genre de stratégie peut s’appliquer sur n’importe quelle exploitation, dit-il.
« Dans mon cas, les circonstances sont différentes, mais les occasions sont les mêmes pour chaque exploitation, explique-t-il. Tous les producteurs agricoles ont la possibilité d’examiner une activité complémentaire à la leur. Ils ont la même possibilité de perfectionner leurs compétences afin de démarrer une nouvelle activité. Il s’agit de stimuler la rentabilité à l’aide des techniques de gestion des affaires. »
Gerald Renkema ne garde pas cette stratégie pour lui-même; il l’a transmet à d’autres. Il a d’ailleurs participé à l’élaboration du programme Faites fructifier les profits de votre ferme, un atelier sur la planification d’entreprise auquel plus de 3 000 producteurs de l’Ontario se sont inscrits depuis le lancement en 2009. À titre de président de l’Institut de la gestion agricole (choisisunenouvelleapproche.ca), M. Renkema a été un élément moteur de nouveau programme avancé en gestion d’entreprise agricole (Advanced Farm Management Program), qui comprend des ateliers répartis sur cinq jours, offerts pendant les mois d’hiver.
L’un des grands avantages de cette stratégie, c’est qu’elle vous permet de jeter un regard neuf sur votre exploitation et de voir des possibilités que vous n’auriez pas envisagées autrement, précise-t-il.
« Il est juste de dire que je ne pensais pas à la culture lorsque j’ai examiné pour la première fois les coûts des aliments pour volailles. C’est l’examen du volet financier qui m’a amené à y jeter un coup d’œil. »
Il s’empresse d’ajouter qu’il n’est pas nécessaire d’être comptable pour faire ce qu’il a fait : il suffit de surveiller étroitement votre coût de production et de déterminer ce qui vous rapporte vraiment.
« Votre activité de base doit être solide d’abord. Ensuite vous pouvez examiner les diverses possibilités et dire : Que pourrais-je faire d’autre? L’objectif n’est pas d’en faire plus, mais bien d’obtenir une plus grande récompense pour tous les efforts que vous investissez dans votre exploitation. »
« C’est frustrant lorsque vous investissez tout votre temps au maintien de l’entreprise seulement. C’est beaucoup mieux lorsque vous vous donnez la possibilité de la faire progresser », conclut-il.