Après plus d’une décennie en agriculture biologique, Pat et Larry Pollock se sont habitués aux farces de leurs collègues en agriculture classique.
« Lorsque nous allons au restaurant et qu’il y a beaucoup d’agriculteurs classiques, ils se moquent tous de l’agriculture biologique en disant : Ça ne marchera jamais! Ça ne marchera jamais! », raconte Mme Pollock qui, avec son conjoint, s’adonne à l’agriculture au nord de Brandon, au Manitoba.
« Par contre, s’il n’y a qu’un ou deux agriculteurs, ils posent beaucoup de questions pour savoir comment nous nous y prenons. C’est juste qu’ils ne doivent pas faire voir qu’ils s’intéressent à ce que font ces agriculteurs biologiques bizarres. »
Pourtant, ils auraient tant à apprendre. Le modèle d’affaires des Pollock est très spécialisé : ils gagnent bien leur vie avec une superficie de 300 acres seulement, sur laquelle ils cultivent de la luzerne de semence et de l’épeautre qui est une céréale ancienne. Ils transforment eux-mêmes l’épeautre et ont de la difficulté à satisfaire la demande.
C’est plutôt leur approche sur le plan agronomique qui pourrait livrer des leçons à d’autres producteurs, tant classiques que biologiques.
L’une des raisons pour lesquelles les producteurs de la région s’intéressent à Pollock Farms est que cette exploitation détruit la croyance largement répandue selon laquelle l’abandon des herbicides entraîne inévitablement une infestation par les mauvaises herbes.
« On nous a demandé si nous étions toujours des producteurs biologiques, raconte Mme Pollock. Les gens qui passent devant nos champs ont remarqué qu’ils semblaient aussi propres, sinon plus, que les champs abondamment pulvérisés. »
C’est un aspect qui attire l’attention des producteurs qui signent de gros chèques pour l’achat d’herbicides. En réalité, c’est le coût des intrants qui a tout d’abord amené Larry, âgé de 64 ans, à réfléchir à l’agriculture biologique. Il y a vingt ans, Larry a épousé Pat dont les trois enfants étaient préadolescents et adolescents à l’époque.
« Sa vie a vraiment changé », raconte Mme Pollock en riant. « À l’époque, 70 à 75 % des revenus de la ferme étaient consacrés aux intrants, ce qui ne laissait pas grand-chose pour subvenir aux besoins d’une famille. »
À peu près à la même période, M. Pollock a doublé ses superficies à 600 acres, une taille tout de même modeste, mais bien entendu, les intrants ont également doublé. Certaines de ses nouvelles terres avaient été cultivées sans jachère et le sol était épuisé. Il a donc semé de la luzerne. Au moment de récolter la luzerne, un producteur biologique a fait observer qu’il ne faudrait pas beaucoup de temps pour que ces terres soient certifiées biologiques et « nous connaissons la suite des choses », explique Mme Pollock.
Bien entendu, la lutte contre les mauvaises herbes est devenue une priorité absolue et a modifiée la façon de gérer l’exploitation.
« Le secret repose sur une gestion active dans les coulisses, dit-elle. Nous faisons énormément de planification et nous varions nos périodes d’ensemencement. Nous sommes aussi proactifs et nous utilisons la machinerie au bon moment afin de minimiser les dégâts. »
Cette « gestion active » comporte deux éléments importants. Le premier, c’est le dépistage constant.
« Larry, qui est un agriculteur de longue date, aime sortir après le souper pour aller jeter un coup d’œil à ses cultures. Ça fait partie de sa routine et c’est quelque chose qu’il aime faire. »
Le deuxième élément, c’est avoir une vision à long terme et ne pas y déroger.
L’année dernière, les conditions ont favorisé la croissance de la folle-avoine qui a infesté un champ d’épeautre. Cette graminée adventice pose un problème énorme aux exploitations des Prairies (elle coûte aux agriculteurs près de 500 millions de dollars chaque année en raison de la diminution des rendements, du déclassement des grains et de l’augmentation des impuretés). Par contre, elle n’a jamais posé un problème aux Pollock depuis qu’ils se sont convertis à l’agriculture biologique. Une situation qu’ils souhaitent conservée telle quelle.
« Nous avons donc accepté la situation et nous avons demandé à un voisin de faucher le champ pour en faire du fourrage vert, raconte Mme Pollock. Il faut parfois sacrifier une culture pour éviter des années de problèmes. »
La décision d’éliminer un champ de leur gagne-pain n’a pas été facile, mais elle était nécessaire, dit-elle.
« En agriculture biologique, il faut regarder la situation dans son ensemble et penser à long terme, ajoute-t-elle. Et il faut faire preuve de souplesse. Il faut avoir un plan de départ, un plan de rechange et parfois même un plan de rechange au plan de rechange. »
Ces pratiques ne sont pas l’apanage des exploitations biologiques. De nombreux experts invitent fortement les agriculteurs à faire davantage de dépistage afin de pulvériser de façon ciblée ou de ne pas pulvériser du tout si le nombre d’insectes ou le taux de maladie ne le justifie pas. L’élaboration d’un plan pluriannuel et diversifié de rotation des cultures (comprenant des solutions de rechange) serait un exercice plus complexe. Mais ne compter que sur deux ou trois cultures a un coût (tant sur le plan des rendements que de la pression exercée par les mauvaises herbes ou les insectes nuisibles). Les pratiques qui fonctionnent lorsque les prix des céréales et des plantes oléagineuses sont élevés pourraient ne pas être abordables lorsque les prix dégringolent.
Les Pollock ont été confrontés à une foule d’options et de choix lorsqu’ils se sont convertis à l’agriculture biologique. Deux pratiques se sont révélées précieuses.
Premièrement, les Pollock sont devenus de « fidèles » adeptes d’ateliers, de conférences et de visites guidées. Certaines activités étaient plus intéressantes que d’autres, mais le point fort était leur capacité à retenir l’information, explique Mme Pollock.
« Vous devez écouter attentivement, et ce genre d’écoute demande de la pratique parce que vous devez être capable de faire le lien entre l’information qu’on vous donne et vos expériences antérieures, dit-elle. Il faut énormément de concentration. »
Ils ont également découvert la valeur de l’apprentissage informel. L’une des activités les plus intéressantes est un souper-partage qui a lieu une ou deux fois par année dans leur région et qui est organisé par un groupe d’agriculteurs biologiques. Le dernier souper-partage s’est déroulé en février et a rassemblé de nombreux agriculteurs de l’ouest du Manitoba et même de la Saskatchewan malgré une terrible tempête de neige.
« Nous étions plus d’une soixantaine de personnes réunies au sous-sol de l’église et après le souper, nous nous sommes divisés en petits groupes (les éleveurs de bovins, les producteurs de céréales et les producteurs de légumes), raconte Mme Pollock. Ensuite, nous avons échangé sur des sujets spécifiques afin de savoir qui vendait quelles semences. »
En plus de recueillir une foule d’information, vous créez des liens inestimables, dit-elle.
« Vous êtes capable de mettre un nom sur un visage et, quelques mois plus tard, c’est beaucoup plus facile de donner un coup de fil à cette personne lorsque vous avez une question ou que vous voulez lui soumettre une idée pour connaître sa réaction. »
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